top of page

© 2014 by Fabrice Ainaut. All rights reserved.

TOUTENKALBAS

 

de Fabrice Beuillé

 

Un signe d’époque

 

 

 

Comme l’ont été depuis les premiers âges les ustensiles tirés de la terre, de la végétation, et décorés, à l’usage de la vie quotidienne, des loisirs, des combats, des rituels, objets liés de manière intense et émouvante à l’histoire de l’Humanité, Fabrice Beuillé fabrique des objets en calebasse qui sont à la fois utilitaires et décoratifs, majoritairement des meubles, mais pas seulement, témoin « N’Goni », calebasse et peau de chèvre, cordes en nylon, instrument de musique.

Le calebassier est un arbre d’Amérique tropicale de la famille des bignoniacées,  plantes phanérogames, dicotylédones gamopétales, dont le fruit est la calebasse. La courge calebasse, cucurbitacée, est un faux calebassier, le calebassier du Sénégal est le baobab.

Vidée, séchée, la calebasse depuis longtemps sert de récipient pour les liquides et les solides, et comme résonateur. La voix de la calebasse est particulière, dans les balafons d’Afrique (xylophones), le son est brouillé, les musicologues notent qu’en antithèse à la clarté voulue des instruments de l’Occident, les tonalités sourdes des instruments africains veulent signifier la complexité du monde, ainsi que la voix humaine. La musique africaine serait un verbe, jouant son rôle dans la structuration de l’événement social, y compris en attirant hors de leur repaire les termites à chair comestible, par imitation du bruit de la pluie. Le tambour d’eau africain est une calebasse flottant sur de l’eau à l’intérieur d’une calebasse plus grande, frappée avec des cuillers en bois. L’ardin, et le daghumma islamiques sont des calebasses, ainsi que, chez les Mayas et Aztèques, le tambour tecomapiloa, placé sous l’aisselle.

Dans l’art des masques, des sections de calebasse sont utilisées, comme dans le sud du Soudan (masques Shilluk), recouverts d’argile et de bouse de vache pour figurer le léopard. Dans les Andes, la coca est contenue dans une petite calebasse, le poporo.

Et pour le moine itinérant du jaïnisme une calebasse sert de bol à aumône. La première utilisation remonte à l’âge de bronze, lorsque des rondelles de calebasse autant que de coquilles ou de métal furent enfilées sur des tiges pour cliqueter, ce qui a donné le sistre, connu des Phéniciens, Hébreux, Romains, Abyssiniens, Malaisiens, Mélanésiens, Mexicains etc. et encore utilisé en musique contemporaine. C’est dire que la calebasse, utile ou agréable, est un élément précieux de ce qui relie l’humain à la nature et à la culture, et il faut remercier Fabrice Beuillé d’avoir pensé à la mettre en valeur dans notre monde oublieux de ses racines, comme le précise Sylviane Leprun, chercheur à l’Université Bordeaux III dans un article de la revue Figures de l’Art n°7 dont le titre est « Artiste/artisan ». Son titre à elle étant : « Le design africain, un art de l’alliance ». Elle rappelle que l’objet d’Afrique ne séparait jamais la vie ordinaire de son cadre symbolique, et que les artistes designers de la ville moderne ont produit des objets désacralisés qui cherchent leur place dans la cité d’aujourd’hui… « A la frontière de la tradition, de l’histoire coloniale et de la modernité contemporaine, le design des créateurs africains présente une vision critique et esthétique des sociétés urbaines ».

 

Critique car appelant à nouveau le ressourcement régulièrement opéré en Occident, par exemple fin du XIXe siècle, où la jeune « génération ambulante » de Russie retrouva des thèmes villageois les distinguant de l'impressionnisme citadin français, par désir de symbolisation, ce sera le Modern style, version russe du Jugendstil allemand, et Art nouveau en France, sorte de néo-primitivisme où réalisme et fantastique surréel se mêlent. L'artiste commence à s'universaliser, à la fois peintre, scénographe, critique d'art, écrivain, théoricien, la découverte de l'Orient, des Primitifs, étend le territoire.  En 1910 s'ouvre à Moscou l'Exposition du Valet de carreau, avec tous les peintres avant-gardistes qui déforment la nature, outrent les formes, luttent contre l'esprit petit-bourgeois, se complaisent dans l'exagération, l'allégresse.  Vers 1909-1910, Larionov et Gontcharova se rebellent contre la tutelle de la peinture occidentale pour revendiquer leurs racines orientales.

Les artistes en mobilier de l’art nouveau William Morris, Grasset, Gaillard, Gallé, Majorelle, en Italie le style Liberty font triompher les lignes sinueuses des fleurs, des plantes, le bois naturel est employé sans placage, ciré - recherche d’authenticité - mouvement qui aboutit aux excès qualifiés de style « nouille ». Quoique tourné vers les formes géométriques, le Bauhaus cherche à moderniser le mobilier en stimulant l’invention, remettant en question formes et couleurs traditionnels, plus tard une génération d’ébénistes français (Ruhlmann, Rateau, Süe et Mare) éprise de belles matières crée un mobilier élégant aux placages précieux rehaussés de filets ou d’incrustations.

De nos jours, comme l’explique Bernard Lafargue en introduction à « Figures de l’art », ce qu’il appelle le pluralisme post-moderne ouvre la voix à de nouveaux designers des arts appliqués en tous genres, entre autres les Philippe Stark ou Gaetano Pesce, faiseurs de meubles. C’est à la suite de Warhol, et de sa conception révolutionnaire de l’objet (Pop art, qui, il ne faut pas l’oublier, signifie « populaire ») que vont triompher dans les expositions d’art contemporain le maquillage (Topolino), la coiffure (Barnabé), les parures (Patrick Veillet), les robes (Issey Miyaké, Jean-Paul Gauthier etc.), pluralisme que le mouvement MADI avait instauré en 1946 à Buenos Aires par la voix de Carmelo Arden Quin, qui écrira : « L’artiste éclairé, de tous temps, réalise sa pensée et exprime sa sensibilité la plus haute dans l’universel. De même l’artiste Madi. Conscient de la nécessité d’un renouveau de l’art construit qui soit le reflet du moment cosmique que vit notre époque, il agit plus que jamais en concordance avec le monde présent. »

Et dans notre monde présent, les nouvelles générations sont dans la question aiguë du respect de la planète, d’une relation éthique avec elle, cesser d’exploiter jusqu’à la corde ce qu’elle a généreusement offert, pour l’économiser mais aussi la célébrer à nouveau, elle sans qui il n’y a que mort.

Les objets de Fabrice sont au rendez-vous de toutes ces questions, invention et ludicité chères à Madi, et aussi cet universalisme qui lui fait associer, consciemment ou inconsciemment, les vocabulaires esthétiques de toutes les civilisations, jusqu’à la BD, le dessin animé. Dans notre époque éclatée, Fabrice sait réassocier des espaces et temps différents, pour une gestuelle liée à l’accomplissement de gestes quotidiens, mais rappelant par leur texture, leur origine, leur appartenance à la forêt vierge, à leur statut de « fruit ». Commentaires nouveaux et inattendus, mais rappels très subtils, lorsque par exemple sa Table Tortue évoque l’atelier des Torii, au Japon du XVIIe siècle, école qui traitait de tout ce qui était nécessaire au théâtre de kabuki,  dans laquelle le dynamisme se trouvait servi par le procédé traditionnel de la jambe en forme de calebasse.

Fabrice Beuillé, par son talent fait de poésie, de soin, de technique, d’intuition, d’intelligence, de tendresse, apporte à notre civilisation des objets magiques, je souhaite longue vie à sa création.

 

France Delville

2006

 

 

Fabrice Beuillé

 

Né en 1982 à Tarbes.

Vit et travaille à Savigny sur Orge.

bottom of page